Son nom est encore peu connu, mais ses œuvres, monumentales, provoquent un effet immédiat, en portant un message universel et accessible à tous les publics à travers le monde. Pierre Lallement, producteur du documentaire chez JAGUANUM, et Sandrine Frantz, directrice générale de Lukarn, distributrice internationale de ce 52’, nous invitent à découvrir le premier portrait de cet artiste de land art, dont on n’a sans doute pas fini d’entendre parler.
Unifrance : Comment avez-vous eu l’idée de produire un documentaire sur Saype ?
Pierre Lallement : Un jour mon épouse m’a parlé de cet artiste, en me disant que ce qu’il faisait était incroyable. On a décidé d’aller le voir. Ma femme s’occupait beaucoup de land art et de street art, et pourtant aucun de nous deux ne le connaissait. Lorsque nous l’avons rencontré, il venait tout juste de lancer Beyond Walls, une série de portraits de mains, avec pour ambition de former une chaîne humaine à travers le monde. À l’époque, je travaillais avec Yann Arthus-Bertrand – un lien que nous avons en commun avec Sandrine. Je l’ai contacté en lui présentant le travail de Saype, et lui aussi a décidé de venir le rencontrer pour découvrir son travail, du haut de la tour Eiffel. Saype a dû se dire que nous connaissions du monde.
Plus tard, mon épouse, qui a beaucoup travaillé en Afrique de l’Ouest, a organisé avec lui le Beyond Walls au Bénin et en Côte d’Ivoire, ce qui nous a permis de tisser un lien fort et une relation de confiance. Un jour, je lui ai dit qu’il fallait que je fasse un film sur lui, et il a directement accepté !
En tant que petits producteurs, il y a des œuvres qu’on est les seuls à faire et à pouvoir faire. Les grands médias vont s’intéresser à un film plus général sur le street art, mais pas à un film sur Saype. On a envie de proposer ce portrait aux grands médias, comme une œuvre unique sur cet artiste.
Comment se sont noués les différents partenariats autour du projet ?
PL : France 3 Bourgogne-Franche-Comté, la région dont Saype est originaire, a très rapidement accepté le projet. Saype envisageait aussi de créer une œuvre à la Réunion, ce qui nous a permis d’obtenir Réunion Première.
Nous avons par ailleurs reçu l’aide sélective du CNC et de la PROCIREP, et avons encore des demandes en cours auprès des régions.
La rencontre avec Sandrine Frantz s’est également faite très tôt. Elle a rapidement senti le potentiel du projet. Sur ses recommandations, nous avons décidé d’aller tourner en Irlande du Nord, en plus de la France, de la Suisse et de la Réunion.
Le tournage est donc très international !
PL : En effet, nous avons déjà tourné en Irlande du Nord et à Belfort, à l’occasion des 100 ans du territoire de Belfort. Nous tournons actuellement la phase de préparation en vue du départ à l’île de la Réunion. Sandrine a suggéré d’ajouter l’Irlande du Nord, suite aux bons retours que nous avions eu – nous nous sommes dit que ça pouvait être intéressant de se rendre dans un territoire anglo-saxon. Notamment par rapport au symbole que représente l’Irlande du Nord : la symbolique du mur est extrêmement forte à cette frontière.
Qu’est-ce qui fait la singularité de ce documentaire, ses principaux atouts pour s’exporter dans le monde ?
Sandrine Frantz : Saype est un artiste à la carrière internationale, son travail commence à être connu, bien que les gens ne connaissent pas encore son nom. Il est français, vit en Suisse, et bénéficie d’une notoriété qui, d’une certaine manière, est déjà internationale. Son travail est accessible au plus grand nombre, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les artistes contemporains. Lorsque je parle du projet aux diffuseurs à travers le monde, ils sont séduits par le sujet.
Mais la case "art & culture" reste spécifique en télévision, la majeure partie des diffuseurs ne montrent pas ce genre de programmes, ce sont essentiellement les diffuseurs publics qui ont cette appétence.
PL : Il est apparu dans de nombreux magazines et journaux télévisés, mais c’est le premier documentaire qui s’intéresse à cet artiste. Le côté universel, immédiat, évident de son œuvre donne envie d’en apprendre davantage sur la personne qui en est à l’origine.
L’aspect monumental, symbolique, propre à son art, interroge beaucoup. Les partenaires que nous avons contactés ont eu envie de savoir qui était cet artiste. Quand on le voit, on le croirait plutôt venu de l’univers du BTP – il faut dire que c’est aussi un travail très physique que de réaliser une œuvre aussi monumentale. Il utilise de la peinture à base de craie et de charbon, 100% biodégradable. Ce qui fait que sa peinture disparaît naturellement avec le vent et la pousse de l’herbe.
Quelle est votre ambition pour le programme ?
SF : Pour un artiste qui a déjà fait le tour du monde grâce à son travail, l’ambition est vraiment internationale. Cela fait quelques mois que je pitche ce projet. J’ai commencé en février au salon Avant-Première, dédié à la musique. Souvent, les chaînes qui diffusent de la musique sont aussi celles qui diffusent des programmes relevant de la case art & culture. Puis j’ai porté le projet au MIPTV et au Sunny Side of the Doc. Je cible le monde entier.
PL : L’aspect international est clé : lorsqu’on voit Saype travailler en anglais, le personnage prend un côté plus international, bien que ses œuvres traversent déjà les frontières. Il était à l'ouverture de la Biennale de Venise et y exposait. C'est un artiste qui monte et qui est attentif à sa carrière.
SF : Ses œuvres sont faciles d’accès, ce qui lui permet de toucher le plus grand nombre et de marquer les esprits. Le message est important, mais ce n’est pas l’aspect le plus distinctif de son travail. La question que nous nous sommes posée est la suivante : est-ce qu’on attend qu’il prenne de l’ampleur pour décrocher un plus gros diffuseur, ou est ce qu’on se lance tout de suite, avec peut-être moins de financement mais beaucoup d’ambition. Nous avons choisi le "un tien vaut mieux que deux tu l’auras" et sommes très fiers de nous être lancés dans cette aventure. Je pense qu’il y en aura beaucoup d’autres.
PL : Nous avons comme diffuseur France Télévisions, mais 2 chaînes le diffuseront conjointement en première diffusion, France 3 Bourgogne Franche Comté et Réunion Première, dans l’esprit d’union des œuvres de Saype.
PL : J’avais d’abord contacté un ami, distributeur en current affairs, qui m’a directement redirigé vers Sandrine, dont c’est le métier. Trouver le bon distributeur est très important. Dès la première rencontre, c’était une évidence de travailler avec Lukarn pour ce film.
Les distributeurs doivent rentrer très en amont dans les projets. L’idée de Sandrine d’aller tourner en Irlande du Nord à Belfast en est l’exemple parfait.
SF : Oui, le métier de distributeur évolue : nous travaillons de plus en plus en amont sur les œuvres, en particulier aux côtés de producteurs qui ont la volonté de créer une œuvre pour l’international. Cela ne change pas l’écriture globale du projet, mais nous donnons des éclairages sur les recherches de nos clients, et en suggérant de toutes petites modifications éditoriales, ça lui donne directement une portée plus internationale qui facilite les ventes. C’est un réel partenariat.
Pourriez-vous m’en dire plus sur votre construction éditoriale ?
PL : Nous étions partagés sur le fait de faire un documentaire très séquencé. Nous avons vite réalisé que le temps de préparation était l’aspect le plus intéressant, la réflexion qui intervient en amont, sa façon de penser l’œuvre. C’est ce qui donne beaucoup plus de volume au personnage. C’est pourquoi nous avons réduit le temps de tournage à la Réunion et allongé le tournage en Suisse et en France afin de filmer son temps de préparation. De plus, l’équipe qui travaille avec lui sur la réalisation du projet se compose de trentenaires très sympathiques, ce qui tombe bien car je voulais faire un film souriant.
SF : Nous avions à cœur de réaliser un film accessible autour de ce personnage, qui lui-même est très accessible.
PL : Il suffit parfois de ressentir les choses, à l’image de Saype qui a un parcours atypique – il s’engage, il y va, c’est particulièrement intéressant lorsqu’on l’entend échanger avec son cercle rapproché : c’est là qu’on voit leur professionnalisme et leur désir d’entreprendre.
Nous avions pris un jeune caméraman, qui s’est très bien intégré dans la bande, ce qui a permis de nouer une relation de proximité. C’est essentiel, car c’est avec le caméraman et le réalisateur qu’ils partagent les moments d’intimité. Il faut que les gens puissent oublier la caméra pour être à l’aise.
La confiance semble être une notion importante, qu’il s’agisse de l’équipe avec laquelle on travaille, la rencontre avec Saype ou encore la vôtre…
SF : Oui, particulièrement sur ce type de film relevant de l’art & culture. On va suivre un artiste pendant des semaines, ce qui implique de fait la confiance. Il y a aussi une problématique d’image pour lui : celle qu’il va renvoyer représente sa carrière, l’enjeu n’est pas des moindres. Mais il a été entouré des bonnes personnes.
PL : Dans l’évolution du projet j’ai fait entrer un co-producteur réunionnais, Nawar Productions. En effet, je me suis rendu compte qu’avoir un soutien sur place, avec la connaissance du terrain était un véritable atout. En cours de route, on a donc fait rentrer Charles Blondeau, jeune producteur, et on avance très bien ensemble. On a notamment l’Office du tourisme de la Réunion qui est rentré dans le plan de financement, ce qui représente un soutien conséquent. C’est positif, car cela montre aussi qu’on peut financer avec des moyens alternatifs et des petits diffuseurs.
Saype va par ailleurs nous donner un accès à ses archives, ce qui nous permettra de retracer son parcours et les œuvres réalisées jusqu’à présent.
Cela donne envie de le découvrir !
PL : C’est l’effet qu’il semble avoir un peu partout avec ses images ! Il génère cet enthousiasme.
SF : J’ai reçu la même réaction d’Artv au Canada. L’acheteur ne connaissait pas Saype et il est allé regarder ce qu’il faisait. Immédiatement, il me lance que c’est génial et qu’il est très touché par son œuvre – je suis convaincue qu’on va lui vendre, parce que la vente de programmes c’est aussi une question de rencontre entre une personne, un diffuseur et un film.
PL : C’est quelqu’un de très humain, d’ancré dans le réel – il se renseigne à fond sur les endroits où il va – quand il est allé au Bénin avec mon épouse, il a voulu d’abord faire un road trip de 5 jours pour se familiariser avec les locaux avant de commencer son travail. Il est dans la bienveillance.