« La Fille de l'eau naquit en 1924 du bizarre assemblage de Catherine Hessling et de la forêt de Fontainebleau. Je possédais une maison à la lisière de la forêt, à Marlotte. Avec Catherine, nous découvrions l'enchantement de ce paysage mystérieux. Les arbres de la forêt de Fontainebleau sont évidemment de vrais arbres : ils n'en constituent pas moins un décor d'une irréalité troublante. Surtout les hêtres avec leurs troncs bien droits s'élevant vers la surface de la forêt dans une lumière bleuâtre. On se croirait au fond de la mer au milieu de mâts de navires naufragés. [...]
La Fille de l'eau était une histoire sans importance littéraire. Lestringuez et moi avions écrit ce scénario pour mettre en valeur les qualités plastiques de Catherine Hessling. La magie de la forêt de Fontainebleau nous y aidait. L'intrigue était au second plan de nos préoccupations. Elle n'était qu'un prétexte à des plans présentant une valeur purement visuelle. [...]
Avec ce film à petit budget, je ne comptais pas bouleverser le marché cinématographique. J'aurais même fait cadeau de ce film aux exploitants qui auraient bien voulu le projeter. La simple histoire que j'y contais ne pouvait choquer personne. Elle relate les malheurs d'une jeune orpheline, fille d'un marinier, en butte à la haine des villageois et à la persécution d'un oncle qui veut la violer. Pour fuir ses persécuteurs, elle se sauve dans la forêt et fait un rêve. C'est ce rêve qui, je crois, suscitait la méfiance des exploitants. Une jeune femme galopant sur un cheval blanc, cette même jeune femme entourée des personnages déformés qui la terrorisent, ça n'est pas « naturel ». Le plan qui choquait le plus était celui où une corde passée autour du cou du méchant oncle - Pierre Lestringuez - se changeait en serpent. C'était prendre le public pour des enfants... Quoi qu'il en soit, La Fille de l'eau fut repoussée à l'unanimité par les représentants de la profession cinématographique. »
Source : "Jean Renoir, Ma vie et mes films", Flammarion, 1974