Lorsque Renoir commence La règle du jeu, projet d'un film où il sera auteur total : réalisateur, scénariste, acteur et producteur, il a conscience du désastre mondial qui s'annonce. Il a l'idée que, pour en témoigner, pour porter cette angoisse, il doit partir d'un sujet plus éloigné. Sur le canevas des Caprices de Marianne, il introduit nombre d'éléments qui en font une des plus virevoltantes histoires d'amour où chacun a ses raisons tout en décrivant une société légère et décadente. La virtuosité de la mise en scène, qui donnait envie à Truffaut de revoir le film chaque jour pour voir s'il s'y passait toujours la même chose, fait doucement monter en puissance la dimension tragique du film, où, in fine, la règle du jeu doit être respectée. Celle-ci, qui ne laisse aucune place à l'innocence et tue pour survivre, est bien le reflet d'un monde dont la légéreté conduit tout droit à un statu quo mortifère. La dimension d'œuvre d'art totale et complexe sera mutilée par des distributeurs soucieux de faire rentrer de l'argent avant la guerre et il faudra attendre la découverte par deux cinéphiles passionnés pour que ressorte La règle du jeu dans une version intégrale qui en fait l'un des plus beaux films du monde.
Source : cineclubdecaen.com