Le projet de cette adaptation contemporaine de Zola n'émane pas de Renoir mais du producteur Raymond Hakim et c'est Gabin qui demanda à être dirigé par Renoir.
Gabin tenait à ce personnage populaire : "Un cheminot c'est de la force en marche, c'est du travail en cadence, c'est de l'ouvrier qui se déplace "
Le roman plaît à Renoir qui ne l'avait pas lu auparavant. Il écrit un scénario en douze jours qu'il ne suivra que partiellement. Gabin conduit la locomotive plusieurs fois entre Le Havre et Paris. Renoir tient à Simone Simon : "Les vamps doivent être jouées par des veuves avec une figure innocente. Les femmes avec une figure innocente sont les plus dangereuses." Bien aidé par les Chemins de fer , le tournage sera néanmoins difficile lorsque la locomotive accompagnée de son wagon plat empli d'éclairages atteint les 100 km/h... poussée par une autre locomotive.
Beaucoup des personnages de Renoir dans ses films d'avant-guerre sont des créatures tragiques. Ici la fatalité "ce personnage qui doit figurer dans toute grande œuvre" (dixit Renoir) est beaucoup plus présent que dans ses autres films. Chez Lantier, elle est pathologique, inscrite dans son sang et son hérédité. Elle n'est pas moins présente chez Roubaud, personnage qui serait falot si la jalousie et la passion morbide pour sa femme ne le transformait en criminel démoniaque et sans remords. Elle a presque autant d'importance chez Séverine qui, malgré sa séduction, ses calculs à la fois enfantins et pervers se sait exilée du bonheur".
De cette tragédie naturaliste, Renoir essaie de tirer une œuvre quasiment musicale, une symphonie en noir et blanc où chacun interprète et apporte son ton et sa note personnels : opacité lourdaude et inquiétante de Ledoux, affectation féline de Simone Simon, romantisme lyrique de Gabin, ironie goguenarde et amicale de Carette, témoin impuissant de la tragédie. (…)
La figure-mère du film est cet interminable élancement vers la sortie du tunnel, quand les personnages espèrent enfin voir surgir la lumière et vont en fait à la rencontre inévitable de leur destin et de leur mort.
Source : Jacques Lourcelles, "Dictionnaire du cinéma" (ed. Robert Laffont)